Lundi 4 novembre 2019 à 19h
Maison de livre
24, rue de Rome
1060 Bruxelles
« Du silence au bruit : un enjeu esthétique dans la musique d’aujourd’hui » ?
Qu’est-ce que le silence a à nous dire dans le discours musical ? Mais surtout, quel rôle joue l’environnement sonore qui l’encadre sur la qualité et le sens que nous lui attribuons ? Tantôt tendu, source d’attente, de stress, voire même d’angoisse ; tantôt apaisant, générant le calme, voire même la sensation de bien-être, le silence a un rôle déterminant dans l’organisation du discours musical. Il devient même chez certains compositeurs du XXe siècle comme John Cage et son disciple Morton Feldman, un paramètre aussi important que celui des hauteurs, des valeurs (rythme) et du timbre.
Lors d’une de ses conférences, Pierre Boulez rappelle qu’avant le XXe siècle, la musique occidentale avait toujours le besoin d’aller quelque part, qu’elle ne prenait que très rarement le temps de s’arrêter et de contempler.
Boulez ajoute que dans la musique « ancienne » le silence servait surtout à baliser les formes musicales. Il était donc, en dehors de quelques exceptions liées à la rhétorique, un marqueur au service de la compréhension du déploiement temporel des œuvres.
Contrairement au silence, que nous pourrions définir, sans doute trop sommairement, comme l’absence de son, le bruit a de multiples facettes qui nécessitent certaines précisions. En acoustique, il désigne des sons inharmoniques. Autrement dit, des sons qui n’ont pas de hauteur précisent au point . Le son produit par la petite caisse tout au long du Boléro de Ravel est donc un bruit – bruit qui ne choque personne et qui s’intègre merveilleusement bien à l’ensemble orchestral. Mais le mot bruit a aussi des connotations péjoratives. Entre autres lorsqu’il se rapporte aux nuisances sonores de la vie courante ou encore lorsqu’il est utilisé afin d’exprimer un désarroi face à une séquence musicale perçue comme trop chaotique (séquence qui n’utilise pas nécessairement le bruit au sens acoustique du terme). L’expression « ce n’est pas de la musique çà, c’est du bruit », trop souvent entendue chez un auditeur occasionnel de musique savante moderne, en est un bel exemple.
Le mot bruit est aussi utilisé dans des situations singulières, comme lorsqu’un son inattendu est perçu alors qu’il ne s’était pas invité. Et que dire alors des bruits qui courent ?Mais revenons à notre sujet. Si à toutes les époques le bruit est présent en musique, c’est au début du XX qu’il devient un élément important dans l’élaboration du discours musical. Ce sont d’abord les bruitistes Italiens qui lui accordent toute leur attention. Ce courant esthétique, où le bruit devient la matière première de l’œuvre, est initié par le compositeur et peintre Luigi Russolo au travers du manifeste L’arte rumori (l’art des bruits). Cette démarche ouvre non seulement l’ère de l’art abstrait en musique, mais remet aussi en question le concept d’œuvre d’art (c’est aussi à cette époque que des peintres comme Malevitch ou encore Rodchenko œuvrent dans la même direction). Ce courant bruitiste s’est prolongé tout au long du XXème siècle avec les travaux de Pierre Schaeffer et Pierre Henry dans le domaine de la musique concrète, Iannis Xenakis et Karl Heinz Stockhausen dans celui de la musique électronique ou acousmatique, John Cage, et bien d’autres encore.
Pour certains compositeurs comme Varèse, les bruits (comme ceux des sirènes dans Ionisation) sont destinés, entre autres, à évoquer bruyamment le paysage sonore des villes. – sirènes qui cohabiteront avec des sons d’instruments traditionnels. Pour d’autres, les bruits seront moins théâtralisés. Nous pensons ici au Continum pour clavecin de Ligeti (1966) ou encore à la Sequenze pour flûte de Luciano Berio (1956). Dans ces deux œuvres, les compositeurs mettent à l’avant-plan les bruits occasionnés par la mécanique des instruments (bruits de clés pour la flûte et registration très aiguë conjuguée à la vitesse de jeu pour le clavecin).
Notre contribution se présentera comme une petite visite guidée de la musique des XX et XXI siècles au filtre de ces deux dimensions que tout semble opposer : le silence et le bruit. Avant d’entrer de plain-pied dans la musique dite moderne nous proposerons, en guise d’introduction, un aperçu de la manière dont ces deux composantes musicales étaient traitées et perçues dans la musique ancienne. Notre parcours nous amènera aussi à montrer quelques utilisations du bruit et du silence dans d’autres formes artistiques comme la peinture, la sculpture et le cinéma. Enfin, nous envisagerons quelques cas de figure ou le silence peut être perçu comme un véritable cri et inversement, le bruit comme une source d’apaisement.